Tous les ans, les soignants peuvent mesurer leur performance au travers des Indicateurs de qualité et de sécurité des soins (IQSS) de la Haute autorité de santé. Reste à savoir comment faire de cet outil un atout pour le quotidien des infirmiers. Cet article a été publié dans le n°40 d’ActuSoins Magazine (mars 2021). 

Cette année est une année « sans ». Comprendre « sans IQSS », dont la collecte a été réduite au strict minimum en raison de la crise sanitaire (voir encadré).

Certains infirmiers, qui voient dans l’élaboration de ces indicateurs une tâche rébarbative imposée par des directions de la qualité en quête de souffre-douleurs, s’en réjouiront. D’autres, qui n’en retiennent qu’un déluge de chiffres dont il est difficile de tirer du sens, resteront indifférents à leur quasi-absence.

Mais pour les autorités sanitaires, qui tentent de promouvoir les IQSS comme un levier d’amélioration des pratiques professionnelles, cette éclipse relative laisse un grand vide.

« C’est assez simple : si on veut s’inscrire dans une démarche d’amélioration de la qualité, il faut mesurer cette qualité. C’est pour cela que nous avons besoin d’indicateurs, explique Laetitia May, cheffe du service « Évaluation et outils pour la qualité et sécurité des soins » de la Haute autorité de santé (HAS) et, à ce titre, grande organisatrice de la collecte des IQSS dans les établissements du pays. Mais quand on rentre dans le détail, on voit bien qu’un indicateur unique de la qualité globale, cela n’existe pas. D’où la nécessité d’aborder toute une série de domaines différents, de sorte que les professionnels de santé aient un regard factuel sur la réalité et la diversité de ce qu’ils font. »

 

Mécanique des indicateurs

©iStock / Good_Stock

Concrètement, les IQSS proviennent de trois sources de données. Tout d’abord, l’analyse d’un échantillon aléatoire de dossiers patient qui est très prenante pour les équipes. Cette partie de la collecte n’a pas pu être réalisée en 2020, pour les raisons que l’on imagine. Autre filon exploité pour construire les indicateurs : le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), gigantesque base de données enregistrant l’ensemble de l’activité hospitalière du pays.

Troisième pilier des IQSS, mis en place en 2016 : la qualité telle qu’elle est perçue par les usagers du système de santé, via les réponses des patients hospitalisés aux questionnaires de satisfaction qui leur sont proposés (le dispositif e-Satis).

Tout l’enjeu, bien sûr, réside dans l’identification des informations précises que l’on va chercher dans ces multiples sources de données. Et cette question n’est pas prise à la légère : chaque indicateur fait l’objet d’une réflexion extrêmement poussée.

 

« Nous avons une méthode de développement assez exigeante, qui repose sur l’examen de la littérature, des expériences étrangères, des recommandations…, détaille Laetitia May. Une fois ce travail effectué, nous consultons les parties prenantes : fédérations d’établissements, représentants des professionnels concernés, etc., de manière à aboutir à un consensus. Ensuite, nous avons tout un travail de développement des indicateurs, avec des appels à candidature pour que les professionnels intéressés puissent participer. Enfin, l’indicateur est testé dans des établissements volontaires. » L’ensemble du processus prend « entre 12 et 18 mois », ajoute la responsable de la HAS.

Inventaire à la Prévert

Résultat, la liste des indicateurs mesurés, si elle peut ressembler à un inventaire à la Prévert, représente ce que le système de santé français a réussi à faire de plus ressemblant à un outil global de mesure de la qualité. En Médecine-chirurgie-obstétrique (MCO), par exemple, les établissements évaluent, selon une grille bien précise et à partir d’un échantillon de dossiers, la prescription d’antibiothérapie de sept jours ou moins pour une infection respiratoire basse.

 

En Soins de suite et réadaptation (SSR), c’est la prise en charge de l’AVC qui est analysée, là aussi en se fondant sur un échantillon de dossiers. La satisfaction des patients, elle, est mesurée en ambulatoire, en hospitalisation complète de plus de 48 heures et en SSR. Les personnes hospitalisées évaluent leur accueil, leur prise en charge, leur chambre et leurs repas, ainsi que leur sortie.

Enfin, au sein du PMSI, c’est la chirurgie orthopédique qui est à l’honneur. Les IQSS y traquent les évènements thrombo-emboliques et les infections du site opératoire après pose d’une prothèse totale de genou ou de hanche.

Reste à savoir à quoi peuvent être utilisés tous ces chiffres. Pour les autorités, il y a un intérêt immédiat, car une partie au moins des IQSS se retrouve dans la certification des établissements. L’idée est également de proposer aux patients un outil de comparaison entre hôpitaux : les résultats sont directement accessibles sur le site Scope santé, qui a ouvertement été conçu à des fins de benchmarking (« Je m’informe, je choisis », peut-on lire en bandeau quand on arrive sur la page d’accueil).

Et les soignants ? « Ce qui est intéressant, c’est quand une dynamique se crée autour des résultats dans chaque hôpital, estime Laetitia May. C’est pour cela qu’il faut qu’il y ait une politique volontariste autour de cela dans les établissements. »

Peut mieux faire ?

© iStock/Elvinagraph

L’ennui, c’est qu’une dynamique autour des résultats, cela ne se décrète pas. Nelly Orliac, cadre de santé au CHU de Caen, est bien placée pour le savoir : elle a précisément étudié les différences de connaissances des indicateurs entre la population des cadres de santé, d’une part, et la population des infirmiers, d’autre part.

 

Elle a publié les résultats, qui portent sur deux échantillons de 300 cadres et de 300 non-cadres, à l’automne dernier*. Et ceux-ci étaient éloquents. « Alors qu’on avait une connaissance des indicateurs de qualité plutôt bonne chez la population cadre, seulement 48 % des non-cadres connaissaient les indicateurs de la HAS », explique-t-elle. En revanche, Nelly Orliac note que les soignants sont « unanimes sur le fait qu’avoir des indicateurs peut être utile pour la prise en charge du patient. » Tout le problème consiste donc à rendre opérationnelle pour les soignants la masse d’informations que constituent les IQSS.

Et là, les idées ne manquent pas. « Je pense que le management visuel peut faire partie de la réponse », estime ainsi la Caennaise. Pour elle, il s’agit de passer d’un affichage un peu routinier des indicateurs de qualité du service à une conception plus moderne, plus dynamique : en un mot, il faut que cela saute aux yeux.

« Dans mon service, nous utilisons un système de suivi quotidien, où chacun est responsable d’un indicateur, avec des gommettes que nous collons sur un support qui est affiché », explique Nelly Orliac. Par exemple, poursuit-elle, un infirmier va vérifier, une fois par mois, si le niveau de douleur à l’entrée a bien été noté dans les dossiers des patients présents dans l’unité, et sera chargé de diffuser le message auprès de ses collègues sur ce sujet. Et, cerise sur le gâteau, « cela sert de pré-certification car, du coup, les équipes sont beaucoup moins stressées quand les inspecteurs de la HAS sont là », ajoute la cadre.

 

Des indicateurs faits maison

Impliquer les équipes dans le recueil des indicateurs, c’est aussi la solution retenue par Anabelle Mathon, cadre supérieure de santé en charge de la qualité et de la gestion des risques au CH Simone Veil de Blois. Celle-ci a bien remarqué, comme Nelly Orliac, que la simple communication des résultats aux services est insuffisante.

« On a l’obligation d’afficher ces résultats, mais honnêtement, vu le nombre d’indicateurs, c’est difficile à interpréter », note-t-elle. Son établissement fait donc des efforts pour une diffusion plus compréhensible des IQSS et joue aussi sur un autre tableau : « Il y a deux ou trois ans encore, la collecte des IQSS reposait essentiellement sur les cadres de santé et les médecins, explique-t-elle. Mais, lors de la dernière collecte, nous avons associé les infirmières pour l’indicateur « projet de soins, projet de vie » en SSR, et nous avons vraiment vu une plus-value. » Et pour cause : l’exercice a notamment permis de se rendre compte de l’insuffisante maîtrise, de la part du personnel, des critères concernés par cet indicateur.

 

Un exercice riche mais chronophage

Annabelle Mathon, cadre supérieur de santé en charge de la qualité et de la gestion des risques au CH Simone Veil de Blois : « Il faudrait que nous puissions extraire les informations depuis le dossier patient informatisé plutôt que d’aller les chercher à la main ». © iStock/bumble-haz

 

« L’exercice a été très riche en enseignements pour les infirmières », estime la cadre supérieure. Parmi les avantages de l’opération : souligner auprès des équipes l’importance de la traçabilité. « Dans la vie de tous les jours, nous avons l’oralité mais, quand il faut chercher des informations dans un dossier qu’on ne connaît pas, on se rend compte des difficultés », remarque-t-elle, notant toutefois une sérieuse limite à la collecte des informations par les infirmiers eux-mêmes : le temps.

En effet, on ne peut pas mettre en place ce type de recueil pour tous les indicateurs et tout le monde ne peut pas y participer. « Il faut bien se rendre compte que le recueil des indicateurs est très lourd, souligne Anabelle Mathon. En 2019, par exemple, cela a mobilisé notre équipe pendant trois mois et tous les établissements se sont plaints de la charge de travail. »

Pour elle, l’une des solutions réside dans l’automatisation. « Il faudrait que nous puissions extraire les informations depuis le dossier patient informatisé plutôt que d’aller les chercher à la main », explique-t-elle. Les autorités, d’ailleurs, travaillent dans cette direction. « Nous montons en puissance dans l’exploitation du PMSI, souligne Laetitia May, de la HAS. Jusqu’à maintenant, il n’y avait que deux indicateurs qui en étaient extraits, mais dès l’année prochaine, il y en aura six. »

Esprit de compétition

Reste que, avec ou sans informatisation, la difficulté reste la même : amener les équipes soignantes à s’approprier les indicateurs. Et pour cela, il existe un outil efficace, même s’il est à utiliser avec précautions : le benchmark. Les IQSS permettent en effet aux équipes de se comparer entre elles et de voir celles qui font mieux (ou moins bien) que les autres.

« Il faut faire attention car nous n’avons pas toujours le même profil de patients d’un établissement à l’autre et on en vient parfois à comparer des choux et des carottes », prévient Anabelle Mathon. Mais, d’une part, il est toujours possible de comparer l’évolution de sa propre performance d’une année sur l’autre et, d’autre part, pour certains indicateurs, il peut être utile de voir ce que font les établissements voisins, souligne cette cadre supérieure.

« Je le fais par exemple sur un indicateur comme la lettre de liaison, sur laquelle nous ne sommes vraiment pas très bons », note la Blésoise. Il est vrai qu’il s’agit d’un indicateur qui, au niveau national, est régulièrement pointé par la HAS comme devant faire l’objet d’améliorations. « Je vais donc voir les médecins, qui sont responsables de cet item, pour en discuter, raconte Anabelle Mathon. On me répond souvent qu’on manque de moyens et là, je sors les données de nos camarades du GHT (Groupement hospitalier de territoire, nldr), qui s’en sortent moins mal que nous. »

Le bâton et la carotte

Et si l’esprit d’émulation ne suffisait pas à faire entrer les IQSS dans les cœurs et dans les esprits des soignants, les autorités ont imaginé d’autres leviers : « Dans la nouvelle certification, les experts vont venir auprès des équipes pour savoir si elles sont au courant des indicateurs et de leurs résultats, pour se rendre compte de ce qu’elles en font », avertit Laetitia May, de la HAS. Les blouses blanches ne doivent donc pas croire qu’il s’agit de paroles en l’air : les premières visites devraient avoir lieu dès cette année, prévient la représentante du gendarme sanitaire français.

Le législateur a également prévu quelques carottes à l’usage des établissements. En effet, souligne Laetitia May, l’Incitation financière à l’amélioration de la qualité (Ifaq), qui constitue une partie réduite mais non négligeable des finances hospitalières, repose en partie sur les IQSS.

« Avant, le recueil était vécu comme une charge administrative, mais c’est en train de devenir une obligation à laquelle nos directions vont devenir de plus en plus attentive, veut croire Anabelle Mathon, à Blois. J’ai d’ailleurs beaucoup plus de contacts avec mon directeur des finances depuis quelques temps… » Ou quand l’argent continue à gouverner le monde.

Source: actusoins

 

 

 

 

Publié le : 13 janvier 2022 / Catégories : Non classé /

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